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«RESTAURATION DU NARCISSISME ET DE LA RELATION
DANS UN ATELIER MUSICAL A VISEE
THERAPEUTIQUE»
Cette
communication est le fruit de mon expérience psycho-musicale auprès
d’enfants déficients intellectuels moyens, âgés de 10 à 14 ans.
Ma réflexion, centrée sur un seul des multiples aspects de la prise en charge musico-thérapeutique, est un choix délibéré. Ce dernier a pour but d’attirer l’attention sur une pratique certes peu académique sur un plan strictement thérapeutique mais qui m’apporte au fil des jours les preuves de son efficience.
Il
périt de langueur et fut transmué en une fleur qui porte aujourd’hui son
nom.
Voyons à présent comment se manifeste le narcissisme pour l’enfant.
Sa
vie durant, l’être percevra la mélodie de sa voix, apaisante ou pas elle
sera sa compagne de toujours.
Dès son plus jeune âge, l’enfant est soumis au
narcissisme. Freud définissait le « narcissisme
primaire » (« stade anobjectal
» chez Spitz) comme le premier stade de la vie, celui ou le nourrisson
n’a pas encore conscience du monde qui l’entoure et où sa libido est
concentrée sur lui-même.
Plus tard, l’adolescent aura à vivre une intensification du
narcissisme : « elle permet, d’une
part, à l’adolescent d’investir son énergie dans un travail créateur, et,
d’autre part, de l’empêcher de s’engager de façon prématurée dans des
attachements sentimentaux. » (1)
Plus près de nous, J.L Faure écrivait citant au
passage : H.Benoit :
«L’essentiel
du narcissisme réside non pas dans le fait que l’image « Moi » m’apparaîtrait
adorable, mais dans ce que qu’elle m’apparaît infiniment importante, affectée
d’un accent absolu, d’une façon positive ou négative selon les expériences
vécues, glorifications et humiliations, succès et échecs. » (2)
Nous voyons ainsi combien cette phase
psychoaffectives est importante pour le développement futur de l’enfant.
Il en va tout autrement en ce qui concerne le jeune déficient
mental. Sa blessure narcissique est incommensurable. La prise de conscience du
handicap est issue du regard, de la parole
des autres. Il est ainsi possible de penser que l’apaisement pourra également
venir en partie d’autrui.
Les parents sont bien souvent blessés tout autant
que leur enfant. Espoirs déçus, refus du handicap laisseront la place dans des
bien des cas à la résignation. Un fossé se creuse et la relation se rompt peu
à peu.
Certaines problématiques familiales sont telles, que
des solutions ne peuvent être envisagées qu’avec un soutien extérieur.
Du côté du jeune, la relation aux autres est mise
à mal. Pauvreté du langage, mal être intérieur, difficultés sociales entraînent
un comportement inhibitoire ou agressif. Je peux constater quotidiennement
combien le verbe est dévoyé. Les enfants, parfois même certains parents, s’épanchent
dans des insultes stéréotypées. Ce phénomène relève davantage d’un mécanisme
de défense que d’un acte de communication ( propos à tempérer à mon sens
lorsqu’il s’agit d’enfants autistes très inhibés.)
C’est
à ce moment là que le thérapeute a un rôle important à jouer. Il peut tenir
le rôle du tiers dont nous parlions plus haut. Trois axes de travail me
semblent essentiels :
-
La
restauration de la parole ou tout au moins permettre à ce qu’elle reprenne du
sens.
-
Reconnaître
à l’enfant une valeur malgré ses difficultés.
-
Modifier
l’image de l’enfant aux yeux de ses parents.
Ce
dernier point me semble capital. Que l’entourage puisse
l’investir, le penser dans un futur positif, alors l’enfant,
acceptera t-il d’entrer dans le
jeu de l’évolution. Qu’il se sente au plus profond de lui même, un être
en devenir alors il se dévoilera
peut-être dans les séances de thérapie. Il
abandonnera peu à peu son inhibition si celle-ci est prégnante. Il
contiendra son agressivité ou
justement la déchargera de manière musicale et verbale si cela lui est nécessaire.
Qu’il ne soit pas fait ici une négation de l’agressivité ou un désir de
la voir disparaître, celle-ci est nécessaire pour vivre. Mon propos est
d’aider le jeune à l’apprivoiser, à la transformer en source de progrès
plutôt que de se laisser envahir.
Ceci
est la première étape, celle qui permet à l’enfant de se découvrir, de
prendre conscience du champ de ses possibilités, de ses limites. Il y apprend
à gérer son handicap, à se situer face aux autres, à se comporter d'une manière
socialement acceptable. A l’instar d’un symbole Taoïste, celui du yin et du
yang, je pense que toute action thérapeutique est également éducative
et réciproquement. C’est pourquoi je suis convaincu qu’une thérapie,
surtout dans une institution spécialisée, ne doit pas perdre de vue une intégration
de l’enfant dans sa communauté.
Mon expérience laisse apparaître un décalage
important de comportement entre l’intérieur du cadre de la thérapie et celui
constaté dans la vie quotidienne.
Alors
comment expliquer une telle différence entre le dedans et le dehors ?
L'une
des hypothèses serait que le travail au sein d’un groupe durant des séances
est particulièrement enveloppant et rassurant mais cette constatation
n’explique pas tout.
Je
pense que l’image renvoyée au patient par l’entourage va être déterminante
pour ses progrès futurs.
Outre
la prise en charge, le thérapeute devra également mettre à disposition des
outils, destinés à modifier les effets produits par le handicap chez autrui.
Il est intéressant à ce stade d’établir un parallèle avec les
travaux d’Henri Laborit. Celui-ci nous explique que face à une agression
externe, lorsque l’individu ne peut opposer ni la fuite ni la lutte, il se
trouve alors dans «l’inhibition de
l’action» laquelle se transformera en somatisation.
Si la micro-société qui l’entoure ne lui laisse que la place dite du
« fou », le patient n’aura probablement d’autre recours que de
fuir psychologiquement en s’y conformant.
Cette
reconnaissance, bien peu enviable pour beaucoup, est néanmoins plus confortable
que pas de reconnaissance du tout.
Ceci m’amène à penser que l’une des actions
musicothérapeute sera de donner à son patient les moyens d’une lutte
destinée à transformer pacifiquement le regard inquisiteur ou apitoyé, la
marginalisation de fait.
L’outil efficace dont nous disposons, surtout en musicothérapie active, est le spectacle.
Le
dictionnaire Larousse (édition 2000) nous propose la définition
suivante de ce mot : « Ce qui se présente au regard, à
l’attention et qui est capable d’éveiller un sentiment.»
Si
cette mise en scène musicale, cet acte de communication destiné à aller vers
l’autre peut susciter de l’émotion positive il est probable que le patient
en sera le principal bénéficiaire. En effet, il a particulièrement besoin de
celle-ci pour gratifier son Ego.
Il
est vrai que ce mot repris à outrance par le show-business peut choquer,
surtout s’il est associé aux paillettes et à la futilité. Expurgé de cette
connotation péjorative , il me semble encore le plus approprié à l’idée
que je défends. Mon propos n’a rien de commun avec le « star-système »
particulièrement lorsque l’enfant est ouvrier de l’œuvre.
Certes, il est difficile de se mettre en scène
devant un public qui n’est pas toujours acquis. C’est en ce sens que je
parlais des séances de musicothérapie comme une étape préliminaire destinée
à se dévoiler au regard de l’autre.
Le mouvement dansé, l’utilisation des masques, des jeux d’ombres
derrière des tissus transparents de même que des interactions avec le public
sont des techniques qui atténuent considérablement l’appréhension de la scène.
L’instrumentarium Orff dont nous disposons ainsi que la philosophie qui
l’accompagne, offre à chacun selon son niveau le moyen d’y trouver sa
place. Ceux qui peuvent intégrer la pulsation auront le loisir de jouer un véritable
morceau. Les jeunes qui ne la possèdent pas encore créeront un climat sonore
à réaliser avec des objets usuels ( bassine d’eau pour imiter le bruit des
vagues, faire tourner un tuyau souple pour le vent etc..)
Est-il besoin de préciser que l’intérêt de ce dispositif est de
favoriser la créativité des enfants. Pour cette raison il est indispensable
que ceux-ci en soient les acteurs mais également les auteurs, ne serait-ce que
partiellement.
Le
plaisir du travail accompli, la joie perceptible lors des applaudissements ainsi
que la présentation de chacun montrent combien les enfants sont sensibles à ce
retour positif d’un public qui, quelques minutes plus tôt, pouvait être
ressenti comme hostile.
Mais là ne s’arrêtent pas
les bienfaits thérapeutiques et éducatifs du spectacle. Sous un aspect
ludique, l’enfant va travailler les notions d’espace, de latéralité.
Ce projet à moyen terme l’aidera à se situer dans
le temps, à contenir la frustration de ne pas obtenir tout et tout de suite.
Rappelons-nous que pour de nombreux jeunes en difficulté, ne pas avoir dans
l’immédiat correspond à n’obtenir jamais.
Le spectacle présente une grande partie des nécessités
d’une vie sociale : Des moments de vie individuels et collectifs, une mise en
relation des individus en présence, des codes de vie commune à respecter, une
tâche à accomplir destinée à tous.
Ce cadre du dehors sera structurant dans la vie
psychique de l’enfant déficient, particulièrement en ce qui concerne le
Sur-Moi, ce rapport à la loi qui lui fait souvent défaut.
Pour conclure, je
m’attacherai seulement à faire remarquer que la pensée collective évolue
dans notre pays. Depuis peu nous voyons sortir de l’anonymat des concertistes
handicapés mentaux, quelques festivals leurs sont même consacrés.
Les C.A.T ( centres d’aide par le travail), étaient
jusqu’à présent presque exclusivement orientés vers la production
industrielle. Les projets artistiques et musicaux, marginaux il y a quelques années
encore, se développent de plus en plus.
-
(1) « La psychanalyse de
l’enfant » Victor SMIRNOFF éditions : Presses Universitaires de France
1974 pages 141 à 144 et 253 à 255
-
(2) « Vocabulaire
de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant » Robert LAFON éditions
: Presses universitaires de France 1979 pages 714 et 715
-
« Stades et concept de stade de développement de l’enfant dans la
psychologie contemporaine » TRAN-THONG éditions : Librairie
philosophique J.Vrin 1978 page 110
-
« L’éloge de la fuite » Henri LABORIT éditions : Gallimard
1981
-
« Psychose infantile » Margaret MAHLER éditions : Petite
Bibliothèque Payot pages 21 et 22
-
« La clef des sons » Bernard AURIOL éditions : Eres 1991 pages
161à 164, 237, 238