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«RESTAURATION DU NARCISSISME ET DE LA RELATION DANS UN ATELIER  MUSICAL A VISEE THERAPEUTIQUE»

 

Cette communication est le fruit de mon expérience psycho-musicale auprès d’enfants déficients intellectuels moyens, âgés de 10 à 14 ans.

Ma réflexion, centrée sur un seul des multiples aspects de la prise en charge musico-thérapeutique, est un choix délibéré. Ce dernier a pour but d’attirer l’attention sur une pratique certes peu académique sur un plan strictement thérapeutique mais qui m’apporte au fil des jours les preuves de son efficience.

      Avant d’entrer dans le propos, rappelons que ce vocable a été emprunté à la mythologie grecque, laquelle nous a légué la légende de «Narcisse». Cet homme d’une grande beauté après avoir dédaigné la nymphe «Echo», s’était épris de son image qu’il contemplait dans l’eau d’une fontaine.

Il périt de langueur et fut transmué en une fleur qui porte aujourd’hui son nom.

                                     

Voyons à présent comment se manifeste le narcissisme pour l’enfant.

Sa vie durant, l’être percevra la mélodie de sa voix, apaisante ou pas elle sera sa compagne de toujours.

Dès son plus jeune âge, l’enfant est soumis au narcissisme. Freud définissait le « narcissisme primaire » (« stade anobjectal » chez Spitz) comme le premier stade de la vie, celui ou le nourrisson  n’a pas encore conscience du monde qui l’entoure et où sa libido est concentrée sur lui-même.

          Plus tard, l’adolescent aura à vivre une intensification du narcissisme : « elle permet, d’une part, à l’adolescent d’investir son énergie dans un travail créateur, et, d’autre part, de l’empêcher de s’engager de façon prématurée dans des attachements sentimentaux. » (1)

Plus près de nous, J.L Faure écrivait citant au passage : H.Benoit  :  

«L’essentiel du narcissisme réside non pas dans le fait que l’image « Moi » m’apparaîtrait adorable, mais dans ce que qu’elle m’apparaît infiniment importante, affectée d’un accent absolu, d’une façon positive ou négative selon les expériences  vécues, glorifications et humiliations, succès et échecs. » (2)                                     

Nous voyons ainsi combien cette phase psychoaffectives est importante pour le développement futur de l’enfant.

Il en va tout autrement en ce qui concerne le jeune déficient mental. Sa blessure narcissique est incommensurable. La prise de conscience du handicap est issue du regard, de la parole  des autres. Il est ainsi possible de penser que l’apaisement pourra également venir en partie d’autrui.

Les parents sont bien souvent blessés tout autant que leur enfant. Espoirs déçus, refus du handicap laisseront la place dans des bien des cas à la résignation. Un fossé se creuse et la relation se rompt peu à peu.

Certaines problématiques familiales sont telles, que des solutions ne peuvent être envisagées qu’avec un soutien extérieur.

 

Du côté du jeune, la relation aux autres est mise à mal. Pauvreté du langage, mal être intérieur, difficultés sociales entraînent un comportement inhibitoire ou agressif. Je peux constater quotidiennement combien le verbe est dévoyé. Les enfants, parfois même certains parents, s’épanchent dans des insultes stéréotypées. Ce phénomène relève davantage d’un mécanisme de défense que d’un acte de communication ( propos à tempérer à mon sens  lorsqu’il s’agit d’enfants autistes très inhibés.)

 

C’est à ce moment là que le thérapeute a un rôle important à jouer. Il peut tenir le rôle du tiers dont nous parlions plus haut. Trois axes de travail me semblent essentiels :

-         La restauration de la parole ou tout au moins permettre à ce qu’elle reprenne du sens.

-         Reconnaître à l’enfant une valeur malgré ses difficultés.

-         Modifier l’image de l’enfant aux yeux de ses parents.                        

 

Ce dernier point me semble capital. Que l’entourage puisse  l’investir, le penser dans un futur positif, alors l’enfant, acceptera t-il d’entrer dans  le jeu de l’évolution. Qu’il se sente au plus profond de lui même, un être en devenir alors  il se dévoilera peut-être dans les séances de thérapie. Il  abandonnera peu à peu son inhibition si celle-ci est prégnante. Il contiendra  son agressivité ou justement la déchargera de manière musicale et verbale si cela lui est nécessaire. Qu’il ne soit pas fait ici une négation de l’agressivité ou un désir de la voir disparaître, celle-ci est nécessaire pour vivre. Mon propos est d’aider le jeune à l’apprivoiser, à la transformer en source de progrès plutôt que de se laisser envahir.

        

Ceci est la première étape, celle qui permet à l’enfant de se découvrir, de prendre conscience du champ de ses possibilités, de ses limites. Il y apprend à gérer son handicap, à se situer face aux autres, à se comporter d'une manière socialement acceptable. A l’instar d’un symbole Taoïste, celui du yin et du  yang, je pense que toute action thérapeutique est également éducative et réciproquement. C’est pourquoi je suis convaincu qu’une thérapie, surtout dans une institution spécialisée, ne doit pas perdre de vue une intégration de l’enfant dans sa communauté.

Mon expérience laisse apparaître un décalage important de comportement entre l’intérieur du cadre de la thérapie et celui constaté dans la vie quotidienne.

Alors comment expliquer une telle différence entre le dedans et le dehors ?

L'une des hypothèses serait que le travail au sein d’un groupe durant des séances est particulièrement enveloppant et rassurant mais cette constatation n’explique pas tout.

Je pense que l’image renvoyée au patient par l’entourage va être déterminante pour ses progrès futurs.

Outre la prise en charge, le thérapeute devra également mettre à disposition des outils, destinés à modifier les effets produits par  le handicap chez autrui.

 

                                               Il est intéressant à ce stade d’établir un parallèle avec les travaux d’Henri Laborit. Celui-ci nous explique que face à une agression externe, lorsque l’individu ne peut opposer ni la fuite ni la lutte, il se trouve alors dans «l’inhibition de l’action» laquelle se transformera en somatisation.

                                               Si la micro-société qui l’entoure ne lui laisse que la place dite du « fou », le patient n’aura probablement d’autre recours que de fuir psychologiquement en s’y conformant.

Cette reconnaissance, bien peu enviable pour beaucoup, est néanmoins plus confortable que pas de reconnaissance du tout.

 

                                     Ceci m’amène à penser que l’une des actions  musicothérapeute sera de donner à son patient les moyens d’une lutte destinée à transformer pacifiquement le regard inquisiteur ou apitoyé, la marginalisation de fait.

 

                                     L’outil efficace dont nous disposons, surtout  en musicothérapie active, est le spectacle.

Le dictionnaire Larousse (édition 2000) nous propose la définition suivante de ce mot : « Ce qui se présente au regard, à l’attention et qui est capable d’éveiller un sentiment.»

Si cette mise en scène musicale, cet acte de communication destiné à aller vers l’autre peut susciter de l’émotion positive il est probable que le patient en sera le principal bénéficiaire. En effet, il a particulièrement besoin de celle-ci pour gratifier son Ego.

Il est vrai que ce mot repris à outrance par le show-business peut choquer, surtout s’il est associé aux paillettes et à la futilité. Expurgé de cette connotation péjorative , il me semble encore le plus approprié à l’idée que je défends. Mon propos n’a rien de commun avec le « star-système » particulièrement lorsque l’enfant est ouvrier de l’œuvre.

Certes, il est difficile de se mettre en scène devant un public qui n’est pas toujours acquis. C’est en ce sens que je parlais des séances de musicothérapie comme une étape préliminaire destinée à se dévoiler au regard de l’autre.

         Le mouvement dansé, l’utilisation des masques, des jeux d’ombres derrière des tissus transparents de même que des interactions avec le public sont des techniques qui  atténuent considérablement l’appréhension de la scène.

 

                                               L’instrumentarium Orff dont nous disposons ainsi que la philosophie qui l’accompagne, offre à chacun selon son niveau le moyen d’y trouver sa place. Ceux qui peuvent intégrer la pulsation auront le loisir de jouer un véritable morceau. Les jeunes qui ne la possèdent pas encore créeront un climat sonore à réaliser avec des objets usuels ( bassine d’eau pour imiter le bruit des vagues, faire tourner un tuyau souple pour le vent etc..)

          L’enfant en difficulté et certainement plus encore le jeune psychotique n’a pas toujours acquis la distanciation d’avec l’autre. L’œuvre musicale et chorégraphique va l’aider dans cette quête. En effet, les différentes harmonies élémentaires même proches vont affiner la prise de conscience des subtiles différences liées aux notes mais également à la hauteur, la couleur, le jeu.

         Est-il besoin de préciser que l’intérêt de ce dispositif est de favoriser la créativité des enfants. Pour cette raison il est indispensable que ceux-ci en soient les acteurs mais également les auteurs, ne serait-ce que partiellement.

 

          Dans ma pratique, je suis  toujours stupéfait de constater combien les enfants sont capables de trouver en eux les ressources et la motivation nécessaires au bon déroulement du spectacle.

Le plaisir du travail accompli, la joie perceptible lors des applaudissements ainsi que la présentation de chacun montrent combien les enfants sont sensibles à ce retour positif d’un public qui, quelques minutes plus tôt, pouvait être ressenti comme hostile.

 

                                     Mais là ne s’arrêtent  pas  les bienfaits thérapeutiques et éducatifs du spectacle. Sous un aspect ludique, l’enfant va travailler les notions d’espace, de latéralité.

Ce projet à moyen terme l’aidera à se situer dans le temps, à contenir la frustration de ne pas obtenir tout et tout de suite. Rappelons-nous que pour de nombreux jeunes en difficulté, ne pas avoir dans l’immédiat correspond à n’obtenir jamais.

Le spectacle présente une grande partie des nécessités d’une vie sociale : Des moments de vie individuels et collectifs, une mise en relation des individus en présence, des codes de vie commune à respecter, une tâche à accomplir destinée à tous.

Ce cadre du dehors sera structurant dans la vie psychique de l’enfant déficient, particulièrement en ce qui concerne le Sur-Moi, ce rapport à la loi qui lui fait souvent défaut.

 

                                     Pour conclure, je m’attacherai seulement à faire remarquer que la pensée collective évolue dans notre pays. Depuis peu nous voyons sortir de l’anonymat des concertistes handicapés mentaux, quelques festivals leurs sont même consacrés.

Les C.A.T ( centres d’aide par le travail), étaient jusqu’à présent presque exclusivement orientés vers la production industrielle. Les projets artistiques et musicaux, marginaux il y a quelques années encore, se développent de plus en plus.

  Bibliographie :

-    (1) « La psychanalyse de l’enfant » Victor SMIRNOFF éditions : Presses Universitaires de France 1974 pages 141 à 144 et 253 à 255

-    (2)     « Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant » Robert LAFON éditions : Presses universitaires de France 1979 pages 714 et 715

-       « Stades et concept de stade de développement de l’enfant dans la psychologie contemporaine » TRAN-THONG éditions : Librairie  philosophique J.Vrin 1978 page 110

-       « L’éloge de la fuite » Henri LABORIT éditions : Gallimard 1981

-       « Psychose infantile » Margaret MAHLER éditions : Petite Bibliothèque Payot pages 21 et 22

-       « La clef des sons » Bernard AURIOL éditions : Eres 1991 pages 161à 164, 237, 238

 

                                Philippe Saccomano

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