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Une, Bonne leçon autant pour les élèves que pour leur professeur

 

Professeur de flûte à bec et d'éveil musical, j'accueille de nouveaux enfants dans mes cours à l'école de Musique de Châteaufort, chaque année, au mois de septembre.  C'est une petite école de 300 élèves environ, aux méthodes traditionnelles, mais où chaque professeur jouit d'une certaine liberté dans l'organisation de son enseignement. C'est ainsi, qu'ayant suivi la formation à la pédagogie Orff il y a quelques années, j'essaie d'introduire peu à peu cette approche de la musique et du mouvement si humaine et si vraie, qui malheureusement reste trop mal connue.

Le premier cours de la rentrée scolaire est un moment d'une extrême importance.  C'est en effet là que se crée le premier contact avec le groupe, c'est là que vont être posés les fondements de tout notre travail de l'année.  Pour les petits, cette première rencontre est un véritable délice, ils sont ouverts, réceptifs et boivent littéralement mes paroles...

Pour les plus grands, ce n'est pas du tout la même chose; ils arrivent souvent à reculons, en traînant la savate, en ricanant derrière leurs mains et en se jetant des coups d’œil complices. Il ne faut surtout pas montrer que l'on pourrait être content ou intéressé !

Voilà un groupe de 9 élèves, trois filles, six garçons "des petits terribles qu' il faut mater" m'a t' on dit Lire les notes ? ils en ont horreur..

Les dictées ? Ils sont nuls...

La théorie ? ils n'en ont rien à faire... Ils chantent faux exprès

Ils ne savent que vaguement ce que sont des noires, des croches, des blanches.....

Eh bien, cela me suffit pour commencer.

« Allez debout Retirez vos blousons" dis-je et " venez donc par ici »

Pris par surprise, ils ont posé leurs manteaux et leurs affaires et d'un air mi-interrogateur, mi-hilare, sont venus me rejoindre au centre de la salle où je les attendais un tambourin à la main.

«  Savez-vous comment cela s'appelle et comment l'on en joue ? »

Très vite j'entends les mots « tambourin » « frapper »  « percussion », ...Voila la troupe qui s'ébranle dans un tapement de pieds confus.  Certains en profitent pour se bousculer et se faire tomber, d'autres se contorsionnent et font n'importe quoi.  J'arrête ma "musique".

« S'il vous plait, j'ai oublié de vous donner la règle du jeu, peut-être aurez-vous quelque chose à rajouter.  Il y a des limites à ne pas franchir.  Montrer moi les repères sur le sol carrelé, et puis, on n'a pas le droit de se toucher." "Même du bout du doigt ? » demande l'un d'entre eux »Même du bout du doigt!'

  -« Seulement avec les yeux », ajoute un autre « Exactement » -« Même si le tambourin nous dit d'aller plus Vite -"Absolument"

-"Et si quelqu'un tombe sans faire exprès ?" -"Il a perdu et il aura un gage" -"C'est quoi le gage"

-"C'est à nous de décider"

  Là, ils sont partis dans des propositions délirantes, mais soudain comme cela arrive souvent, dans un petit trou d'accalmie, se fit entendre le tintement d'une petite voix cristalline, qui jusque-là était restée silencieusement dans l'ombre.

-"il doit aller s'asseoir et regarder les autres parce qu'il n'a pas compris".

Et moi de continuer.

-"Et quand il entendra la musique s'arrêter, il reviendra parmi ses camarades.  Est-ce que tout le monde est d'accord?"

-"oui..i..i"

Voilà toute la bande repartie à scander des pieds ce que raconte le tambourin.  Certains sont très gauches et imprécis, mais pourtant on s'applique.  Peu à peu le martèlement des pas entre en résonance avec l'instrument et une sorte de bien-être s'installe, car l'écoute attentive est là et je sens le plaisir dans la simultanéité du geste.

De temps en temps, je m'arrête et demande: -"Qu'avons-nous marché là? des noires? des croches? des blanches ?"

Très vite les réponses fusent sans erreur.  Alors je densifie progressivement les choses en introduisant des cellules rythmiques sous forme d'ostinato.  Mes petits amis deviennent imbattables et chacun veut avoir "Sa' cellule à reconnaître.

  Cependant, comme dans toute chose, quand un obstacle est surmonté, la lassitude s'installe, alors je leur propose de s'asseoir par terre pour écouter le branle de champagne de cl.  Gervaise.  Certains commencent à frapper dans les mains les pulsations, d'autres le dernier ostinato que nous avons marché.  Ensemble nous essayons de dégager les différentes phrases mélodiques.  Puis quand la forme est devenue claire pour chacun, je leur présente une grande famille qui les invite à une percussion corporelle.

Depuis un petit moment mon regard retient sans cesse sur l'un des garçons qui, bien qu'assis, danse littéralement de son buste au rythme des pulsations.  A peine la musique s'arrête que sa voix retentit à travers la salle:

  -"cette musique est trop gaie, elle donne envie de danser."

Qu'à cela ne tienne

-" voulez- vous que je vous montre comment elle se danse " ?

Nous voilà tous debout, mais faire une ronde c'est pour les bébés !

-" ce n'est pas la peine de se donner la main, voyons déjà ce que font les pieds , 2 pas latéraux à gauche, 2 pas à droite....

Et si voulions que notre ronde tourne vers la gauche, que faudrait-i1 faire ? "

-" Allonger le pas à gauche bien sûr. Que certains sont maladroits !

Et à la fin de chaque phrase, ne peut-on pas ajouter deux croches scandées par nos pieds

Peu à peu, les pieds entrent dans le rythme et sans rien dire une chaîne s'est organisée où garçons et filles se donnent la main.  Voilà le cours qui se termine, joyeusement dans ce branle où je lis de francs sourires sur les visages.

Ma petite bande de joyeux lurons s'est, pendant quelques instants rendue attentive à l'autre, sans se bousculer, elle a essayé de prendre conscience de son propre espace par rapport à celui du voisin.

Elle a réfléchi à élaborer des règles d'évolution pour arriver ensemble à une certaine harmonie rythmique où chacun à sa place, son mot à dire et sa part de plaisir à prendre.

A partir de là, elle a pu jouer avec des dictées de valeurs de notes, elle a eu une écoute attentive pour une pièce musicale afin d'en dégager la forme, et enfin elle a joué dans l'espace avec la latéralité en se donnant la main.

  Quant à moi, si avant le cours, on m'avait demandé de faire danser le branle à " d'affreux jojos" de 10-12 ans, l'aurai haussé les épaules en disant C'est insensé, c'est impossible, ce n'est pas de leur âge

 

ANNE RENAUD

 

 

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